vendredi 15 janvier 2016

Aveuglément Vôtre

  « Pourquoi Lou vous tutoie-t-il tout le temps ?
Parce qu'il ne vous voit pas. »

Blague imaginée par le tonton de Lou (« Maître Vince ») qui a composé la musique de "Lou, je m'appelle Lou".

En ces temps où le politiquement correct nous fait tourner dix fois notre langue avant de la mettre à contribution qu’il est bon de rire… de tout.
Sans l’humour, je ne pense pas que nous aurions traversé cette aventure hors norme.


Lou Boland 2003
Cela me rappelle le souvenir de l’époque de cette photo où Lou, cinq ou six ans, s’est mis à descendre son bonnet d’hiver jusqu’à la pointe de son nez. Ben oui, pourquoi avoir froid aux joues et au nez quand on n’a pas pas besoin de ses yeux. De temps à autres, nous remontions le bonnet de notre petit fantôme, mais il ne fallait pas trois secondes pour qu’il le redescende. Comme il était trop jeune et incapable d’utiliser une canne pour aveugle, nous nous promenions en rue bras dessus, bras dessous.
C’est ainsi qu’il nous est arrivé, à de nombreuses reprises, d’être abordé par un ou une passante attentionnée.
- Attention, Monsieur, votre enfant va se cogner, il a son bonnet devant les yeux !
Au début, je répondais de manière affable :
- Merci, mais ce n’est pas un problème, il est aveugle.
Gasp ! Oups !
Instantanément, la personne s’excusait et enchaînait aussitôt : « Oh, mon Dieu ! » ou « Oh, le pauvre ! » ou encore « C’est terrible ! », la main devant la bouche, le visage affligé, parfois cramoisi ou d’une soudaine pâleur extrême. Car oui, il est même arrivé qu’en réaction, une honorable dame faillit tomber en syncope, et moi, de la retenir.
 La plupart du temps, une étrange inversion se mettait en place. Nous nous retrouvions, Claire et moi, à devoir contrer ces propos négatifs à grand renfort de sourires. Leur faire part du bonheur de Lou, de la beauté de la vie, même sans la vue etc.
Nous ne manquions pas d’en rire entre nous par la suite : « Heureusement qu’on n’est pas déprimé ! ».
Bien sûr, cela partait d’une bonne intention, mais quelle vision sombre, quelle projection personnelle ! Celle-là même qui provoque cette immédiate empathie pour l’injustice, la violence… aveugle.

La blague de l’oncle évoque aussi en moi cette réalité que j’aime tant chez Lou : il tuttoie effectivement tout le monde (excepté le Prince Albert deMonaco, après un drill, d’enfer). Pour Lou, sans même qu’il le conceptualise dans sa tête, nous sommes tous égaux et au plus votre voix est porteuse d’un accent, d’une intonnation ou d’une particularité, au plus il vous kiffera. Ainsi est Lou.
Lou fantôme
Enfin, la blague me fait penser à une autre situation très drôle, mais aussi à une réflexion, très incorrecte : «  Lou ne serait nullement gêné de porter une burka ».
Au contraire, à cette même époque, il adorait se déguiser en fantôme. C’était d’ailleurs devenu LE déguisement de rigeur, à chaque fois qu’un travestissement était requis à l’école ou ailleurs. Ayant toujours adoré être recouvert et blotti, le drap jeté sur sa tête avait quelque chose de rassurant. Il fallait le voir se déplacer avec aisance dans la maison. Ben oui, cela ne changeait rien pour lui et il connaissait « ses » trajets.

La burka est l’aveuglement d’une belle culture en perte de sens, par une minorité qui, à son tour, trouble le regard d’un occident lui-même atteint de cécité, surdité.

samedi 9 janvier 2016

Mieux vaut en rire

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« Si tu ne faisais pas la cuillère que tu jettes comme un truc ! »
Le papa de Lou 01-2016

Grosse fatigue ? Micro AVC fulgurant ? Début de la sénilité ? Citation de Gad Elmaleh ?

Quelques explications.
Repas de Lou en 2004
Apprendre à Lou à se débrouiller pour manger de manière autonome est un combat quotidien depuis… 17 ans, soit après un rapide calcul depuis environ 10.000 repas.
Se tenir droit et non s’avachir afin de raccourcir le trajet de la fourchette et ne pas perdre une partie en chemin, bref réduire à néant la distance qui sépare l’assiette de la bouche ; faire le geste adéquat pour ne pas en mettre partout  (et non « le coup de pelle rapide et désordonné dans le sable pour sauver son château des vagues», - vous voyez ce que je veux dire ?- ) ; repérer la nourriture dans l’assiette au lieu de pelleter dans le vide toujours au même endroit ; remplir son verre avec une bouteille ou une cruche (aujourd’hui OK, malgré d’occasionnels débordements) ; beurrer et couper une tartine (on y arrive) ou la garnir de manière autonome (future étape) ; couper lui-même ses aliments (pas encore programmé) ; et bien d’autres choses encore.  Tout cela n’est pas simple avec notre bonhomme girouette qui a si difficile de se concentrer sur toute tâche (exceptée musicale) et avec l’impossibilité de s’appuyer sur le mimétisme visuel.
D’autant qu’en l’absence de toute aide extérieure, nous n’avons que de rares tutoriaux sur le net pour apprendre à apprendre à ce propos. D’autant aussi qu’il n’est pas simple de consacrer son repas à la fois à sa propre alimentation et à une éducation de tous les instants. Une fois de plus, sa maman est exemplaire et d’une incroyable patience.
Au rythme actuel, il faudra bien encore 10.000 autres repas pour parvenir à une réelle autonomie. Rien de décourageant en regard à tous les autres apprentissages qui ont eux-aussi nécessité une patience infinie et des délais hors catégories. De la remarquable performance de sa maman qui réussit aujourd’hui à faire lire Lou en braille de manière presque fluide, au terme d’un combat acharné de onze ans. De la raison pour laquelle tant de professionnels ont démissionnés face à Lou.

Bref, hier soir, face à une assiette presque vide, Lou « pédalait dans le vide » à la recherche d’aliments. La brusquerie de son geste faisait à chaque fois tomber le contenu de sa fourchette au décollage.
- Tu peux m’aider, papa ?
Réponse du père :
- Si tu ne faisais pas la cuillère que tu jettes comme un truc !
Grand silence, grande solitude, immédiatement suivi d’un éclat de rire de Lou.
Conclusion de Lou :
- Toi y en avoir bien parler, papa !