(Dialogue fictif … car tout cela dépasse
l’entendement de Lou)
Pour que les choses soient dites
clairement, après bientôt deux mois de silence.
- Dis papa, c’est quoi le burn-out ?
- C’est quand une personne se retrouve
paralysée face à trop de travail accompli et à celui encore à accomplir. C’est
un peu comme si le disjoncteur général d’une maison se coupait parce qu’on
lui demande trop de courant : du coup, il n’y a plus d’électricité, plus de
lumière. Bon, OK, cela ne te parle pas et pour cause…
- C’est ce qui t’est arrivé ?
- Oui, début décembre. Je suis arrivé un lundi
matin au bureau, j’ai allumé l’ordinateur puis je suis resté figé, angoissé,
incapable pendant une heure de bouger le moindre petit doigt vers le clavier
pour travailler. J’avais déjà entendu de telles choses sur le burn-out, mais
cela me semblait être une image, quelque chose de symbolique, mais non. Puis
heureusement, un proche collaborateur a téléphoné par hasard, sinon je ne sais
pas combien de temps je serais resté ainsi. J’ai alors craqué et longuement
pleuré. Presque trois jours.
- C’est pour cela que tu ne vas plus au
bureau depuis ? Et sur internet aussi ?
- Oui.
- C’est à cause de ton festival ?
- Oui, c’est à cause du festival, mais
aussi de la Plateforme Annonce Handicap et surtout du défi de ton avenir, bref,
des trois associations que je porte à bout de bras depuis 10 ans, sans compter
tous mes engagements ponctuels pour la cause du handicap.
- Mon avenir ?
- Oui mon bonhomme, tu as dix-huit ans.
Dans deux ans, au plus tard, tu devras quitter l’école, ce qui en soit n’est
pas un mal au vu du peu de soutien que nous avons de cette institution dans ton
éducation et ton apprentissage, sans parler des dégâts psychologiques que
certains professeurs te causent et que nous devons réparer, reconstruire, quasi
tous les soirs à ton retour de l’école.
- Ah oui, tu veux parler du fait qu’on ne me
motive pas à travailler et de ces profs négatifs qui me traitent d’incapable,
de menteur etc…
- Oui, cela me révolte, me mine et me fait
très mal… comme à toi. Comment peut on traiter un enfant handicapé mental de
menteur ! L’enseignement dans lequel tu es (type 6 – forme 2) est un
véritable mouroir. Cela fait quatorze ans, malgré nos demandes répétées (et mon
engagement pendant 5 ans dans l’association de parents de l’école), que nous ne
pouvons pas compter sur cette seule école susceptible de t’accepter, car elle
est incapable de gérer les pluri-handicaps tels que le tien (la cécité et le
handicap mental léger). De par ton syndrome très rare et très spécifique, tu es
un enfant « spécial » et par conséquent « perdu » et
abandonné par le système éducatif et social belge qui te destine tout droit
vers un centre de jour et un centre d’hébergement. Avant cela, « le système
fait ce qu’il peu avec les moyens dont il dispose ». Au vu de cette
perspective, on croirait entendre dans notre de dos : « A quoi
bon ! Un petit peu plus ou un petit peu moins handicapé ne modifiera pas
foncièrement l’avenir qui lui est destiné. Il ne devrait pas y être plus ou
moins malheureux ». Pire, nous ressentons régulièrement dans les
regards et le ton affligé des réponses de nombreux professionnels à nos
demandes, une hypocrisie et un alibi tout trouvé : « Ces parents sont
dans le déni sur la réalité de leur enfant ».
Nous avons parfaitement conscience de ta déficience – ou plutôt différence – mentale. Nous savons pertinemment bien que tu ne seras jamais autonome et que tu auras besoin de nombreuses aides à ta vie adulte. Mais au vu de certaines de tes capacités et des multiples combats gagnés, années après années, mois après mois, jours après jours, nous mesurons l’énorme potentiel de progrès que tu serais capable d’encore acquérir.
Nous avons parfaitement conscience de ta déficience – ou plutôt différence – mentale. Nous savons pertinemment bien que tu ne seras jamais autonome et que tu auras besoin de nombreuses aides à ta vie adulte. Mais au vu de certaines de tes capacités et des multiples combats gagnés, années après années, mois après mois, jours après jours, nous mesurons l’énorme potentiel de progrès que tu serais capable d’encore acquérir.
- Et pourquoi tu ne me sors pas de
l’école ?
- Si tu quittes l’école, tu seras à la
maison, ce qui veut dire que soit ta maman, soit moi-même devra arrêter son
travail pour s’occuper de toi, car tu n’es pas capable de t’occuper tout seul
de manière constructive. Parce qu’il y a des listes d’attentes de 4 à 8 ans pour
avoir une place dans une institution et quand bien même une place se
libérerait, nous n’aurons pas le choix du lieu, de sa qualité. Parce qu’au-delà
de tes déficiences, tu as ces capacités musicales hors normes qui pourrait te
permettre de vivre de ta musique « à ta manière » car ta différence
est bien réelle, or nous craignons que tu régresses dans un centre de jour voué
essentiellement à de « l’occupationnel ».
- Tu me vois faire une carrière
musicale ?
- Oui, j’en rêve, à ta mesure. Il existe
en France des ESAT (entreprise de travail adaptée –anciennement « atelier
protégé ») axé sur l’artistique où des artistes porteurs de handicap font
carrière, mais cela n’existe pas en Belgique. Cela fait 4 mois que j’essaye de
lancer un tel projet ici, mais cela s’avère très compliqué : il faut de
l’argent pour lancer le projet (beaucoup d’argent), des collaborateurs et des
soutiens (des parrains, des artistes connus, des distributeurs et organisateurs
de concerts qui soutiennent le projet), bref, malgré l’engagement d’une
collaboratrice sur ce projet, on se casse un peu les dents.
- Pourquoi tu n’as pas fait cela plus
tôt ?
- Parce que je me suis laissé dévorer par
les autres associations que j’ai lancées.
- Pourquoi tu les as créés ?
- Parce que j’avais promis lors de la
création de la Fondation qui porte ton nom de consacrer une partie de l’argent
récolté avec la vente du DVD du documentaire « Lettre à Lou » à des
projets dont bénéficieraient un maximum de personnes porteuses de handicap.
- C’est pour cela que tu as lancé la
Plateforme Annonce Handicap et l’Extraordinary Film Festival ?
- Exactement. J’ai mis mon petit doigt
dans le secteur du handicap pour m’y retrouver plongé jusqu’au cou. Raison pour
laquelle j’ai abandonné ma carrière de cinéaste.
- Et pourquoi tu n’arrêtes pas la
Plateforme ?
- Je m’y désengage petit à petit, mais ce
n’est pas simple. On me demande personnellement pour faire les formations car ma
réputation fait que je cumule l’étiquette de parent et de professionnel
« expert ».
- Et le festival ?
- C’est beaucoup plus compliqué !
Tout d’abord, je perdrais mon emploi et n’aurais donc plus de revenu ou tout au
plus le chômage (400 €/mois). Ensuite, jusqu’il y a quatre mois, j’y étais le
seul employé, cumulant pas moins de cinq fonctions : le secrétariat
(gestion quotidienne, location, démarchage,…), le financement de l’événement
(pouvoirs publics, privés, sponsoring, mécénat - en collaboration bénévole avec
le trésorier de l’asbl), la direction artistique (recherche, sélection et
adaptation des films retenus et programmation), la communication et les
partenariats médias et enfin toute l’organisation générale des événements. Tu
imagines un peu ?
- Mais depuis quatre mois, tu n’es plus
seul ?
- Oui bien sûr, grâce à des subsides, on a
engagé une personne, mais je me rends compte que même partagé avec moi, elle ne
pourra elle-même jamais abattre tous le travail que je faisais. De plus,
partager le travail prend plus de temps que tout gérer soi-même. Et tu vois,
c’est la perspective du tunnel que représente l’organisation de l’édition 2017
du festival qui a été la goutte qui a fait déborder le vase. Je me suis
dit qu’il me sera impossible de construire en parallèle un projet pour toi
et le festival, que j’étais reparti pour travailler comme une bête de somme. Je
l’ai déjà payé assez cher au niveau de ma santé au lendemain du dernier
festival en 2015.
- Tu n’as personne pour
t ‘aider ?
- Si, j’ai beaucoup de bénévoles et des
conseils d’administration pour chaque association, mais d’une part, les gens
ont une vie remplie, de plus en plus sous pression, qui leurs laissent peu de
temps et d’autre part, il y a toute une série de fonctions qui nécessitent une présence
et des compétences que des bénévoles ou des administrateurs ne peuvent offrir.
- Et pourquoi tu n’engages pas des
personnes professionnelles pour t’aider ?
- Parce qu’il faut de l’argent que je n’ai
pas.
- Pourquoi tu ne demandes pas de
l’argent ?
- C’est ce que je fais, sans doute trop
timidement, car je reçois des subsides bien insuffisants. Quant aux mécènes ou
aux dons, soit mes projets ne les intéressent pas, soit ils se sont déjà
engagés dans d’autres projets. De plus, je ne fais partie d’aucun sérail :
politique, (a)confessionnel, noblesse etc. Je n’ai donc aucun soutien. Et puis,
je vais t’avouer quelque chose : j’ai mes limites. Mon éducation fait
qu’on m’a appris à ne pas demander, à me débrouiller tout seul. Enfin (les
parents d’un enfant porteur de handicap me comprendront tout de suite), à force
de demander de l’aide qu’on n’obtient pas pour son enfant, on en finit par ne
plus vouloir entendre les refus, les « non », les « c’est hélas
pas possible » et donc on ne demande plus.
- Mais pourtant t’es « connu »
et moi aussi ?
- « Connu » est un grand mot. Tu
l’es plus que moi, mais là aussi, la situation est perverse. J’ai longuement
raconté et partagé le début de ta vie sur internet avec le blog « Le journal de Lou » et au travers du film « Lettre à Lou ». J’y racontais,
sans détours mais avec pudeur, l’incroyable combat que nous menions (déjà
seuls) pour te faire sortir de la bulle dans laquelle tu étais enfermé. Mais à
partir de tes 14 ans, j’ai décidé et jugé qu’il fallait respecter ta vie privée.
Je m’en suis donc limité à mettre en avant tes capacités musicales et à ne plus
communiquer à propos du reste ou seulement « entre les lignes ». La
grande médiatisation que cela a créée, a fait que peu de gens ont réellement
conscience de toutes nos difficultés, de tous nos combats quotidiens et du
grand isolement auquel nous devons faire face dans ton éducation. En dehors de
la musique où tu baignes heureux comme un poisson dans l’eau, ils ignorent tes
peurs, tes angoisses, tes obsessions, ton « monde », tes difficultés
d’apprentissages (le moindre acquis à l’autonomie comme le brossage des dents
passe obligatoirement par des répétitions de l’enseignement à raison de 300 à
400 fois avant qu’il ne soit appris). Bref tout le monde croit que tout va bien
et que tes capacités dans la vie sont équivalentes à celles musicales. Or c’est
tout le contraire et c’est ce qui fait ta spécificité.
- Et maintenant, qu’est-ce que tu vas
faire, papa ?
- D’abord me reconstruire, mon bonhomme.
Car vois-tu, je me suis rendu compte qu’à force de travailler sans relâche
depuis plus de six ans, j’ai éliminé tous mes loisirs. Même lorsque j’ai un
moment de libre, je ne sais plus quoi faire. Et lorsque j’entreprends une
activité comme la lecture par exemple, je ne la vis pas pleinement,
culpabilisant dans ma tête à l’idée de tout ce que je devrais encore faire. De
même, j’ai perdu le contact avec bien des amis. Seuls restent ceux que je vois
dans le cadre de mon travail. Bref, ma vie privée est devenu un désert
inhospitalier quand elle ne se consacre pas à toi, qui demande tellement de
présence pour te construire.
- Tu vas tout arrêter ?
- Tout non, car une chose est
claire : tu seras dorénavant ma priorité. Quant au reste, j’espère pouvoir
y limiter au maximum mes engagements. Je sais déjà que la Plateforme Annonce
Handicap me survivra à moyen terme, mais pour le festival, c’est une autre
histoire beaucoup plus périlleuse et je serais infiniment malheureux de voir
disparaître un tel outil de démystification du handicap. J’ose espérer que les
choses vont bouger, que des gens vont se mobiliser pour tout cela et que des
aides arriveront, car en regard à tout ce récit, quelques personnes consultées
en sont toutes arrivées à la même conclusion : tu ne dois plus te taire et
tu dois demander !
Un long apprentissage en perspective. Une
reconstruction qui passe par cet écrit.
Merci de m'avoir lu jusqu'au bout.
Merci à tous ceux qui pallient à mon absence en ce moment (Gilles, Philippe, Vincent, Jean-Paul, Nadia, Marie-Claire, Damien, Roland, Jean-François, Françoise, Virginie etc.)
13 commentaires:
courage à toi, à vous pour ce combat vis-à-vis d'un de nos enfants "extra-ordinaires"....
le combat en vaut le coup, je te le garantis :)
bisoubi
J'avais beau avoir une bonne idée de l'état d’investissement dans lequel tu navigues et donc de l'état de fatigue dans lequel tu devais te trouver, je n'en suis pas moins touchée de lire ton épuisement et ton désarroi ... Prends soin de toi, prends soin des tiens, prends tout le temps qu'il te faudra. Bisous,
Je pense que c'est déjà bien d'avoir mis des mots sur cette souffrance, il est beau ce combat qui dure depuis des années, mais il faut un moment pouvoir écouter ton corps. Facile a dire, je sais.. Te dire courage, tu en as. Un peu moins, c'est normal pour le moment..
J'aimerai aussi l'avoir, comme beaucoup d'entre vous, cette baguette magique. Mais c'est vous tous qui vous battez au quotidien, qui êtes des magiciens.
Avec tout mon respect. J Fouarge.
Prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin des autres...
Take care !
Catherine Kerkhofs
Je suis émue et sans mots. Juste envie d'envoyer tout plein d'amour et de forces .
Prends bien soin de toi, mon frère généreux !
Merci pour tout ce que tu as déjà accompli, c'est fabuleux !
N'oublie pas que toute fissure contient un peu de terre, promesse de nouvelle germination
Je t'embrasse avec toute l'admiration et l'affection que j'ai pour toi
Nicole
Courage... vous m'en donnez tellement. Quand je suis à plat et que rien ne va, je regarde vos vidéos en pleurant et en me disant quel espoir! Nous vivons des situations difficiles que personne ne voit. Les gens voient le resultats mais ignorent le travail et les sacrifices que ça demande. Et puis le "temps" cette chose que l'on ne peut pas remplacer, pas acheter, pas s'en priver... nous en avons tellement besoin que nous n'en perdons jamais une miette. C'est ce "temps" qui nous detruit aussi. Le temps perdu est insupportable quand il nous est compté. Mais pour qu'il soit efficace vous devez prendre le prendre afin de prendre soin de ceux pour qui vous vous battez. Courage, avec toute ma sympathie.
En effet je suis loin d'imaginer ce que vous pouvez vivre mais je pense souvent à Lou et tt la famille. Si Lou en est là aujourd hui c'est grace à vous, son papa, sa maman et ses soeurs; vous qui avez toujours cru en lui, vous qui avez soutenu, encouragé, réconforté...alors mes encouragements sont des petits poissons dans l'océan mais sachez que j'ai beaucoup de respect par rapport à vos investissements. Et puis chaque fois que je vois Lou je retrouve ce petit enfant du DVD pétillant, heureux de vivre et chanceux de vous avoir auprès de lui.
Gros bisous à tous
Dominique
Ton témoignage me touche beaucoup. La vie avec un enfant porteur de handicap est un long combat porté par l'Amour, tellement intense, mais parfois tellement dur... Ces enfants nous offrent des pépites de bonheur à savourer, mais le chemin est ardu pour qui le vit au quotidien. Je t'envoie beaucoup de courage, de patience et de repos. Prends soin de toi et des tiens, et merci pour ce que tu as fait et fais pour faire découvrir aux gens ordinaires à quel point les personnes porteuses de handicap sont extraordinaires. Christel Van Overstraeten
Luc, merci pour ce billet précieux où tu dresses le bilan de tes combats, de tes défis, prends soin de toi, de Lou, des tiens. Puisses-tu trouver un équilibre de vie salutaire que tu mérites tant!
Dear Luc
I am sorry that you are feeling so bad. Is Lou really physically abused at school? how horrible. It differs very much in which country you grow up. We have sheltered work and sheltered housing too for the disabled and even "normal" work with the help of a joboach such as i have. Here in the netherlands people from eighteen years and up can get eligible for a wajong uitkering. It is a disabled payment you receive every month allthough the last years it is made harder to get. I think in here there is a future for Lou and i am very sad that Lou doesn't get the same support as me. I hope you feel better soon. Just try to keep in mind the phrase of Lou's song(Il faut sourire meme au derniere soupire). Ask for Lou. Give him big hugs from m. I really hope that he gets to have a good future with things who are good for him
Love Evelien
Merci pour vos marques de soutiens et vos messages ! ;-)
C'est bien beau ces messages ! De réconfort...
Je suis soeur de trois handicapés adultes en France et croyez moi je comprends et compatis ....
mais que puis je faire ...dites moi ...
vous parlez de maisons en France qui s'occupent d'handicapés ???????? Permettez moi de vous demandez où ?
Je vais essayer de parler de vous et de Lou ....autour de moi .
Il suffit quelquefois d'une personne.
Tenez bon .
Marie
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