Je
me suis souvent posé cette question : faut-il partager publiquement ses
moments de bonheur sur les réseaux sociaux au moment où d’autres, si
nombreux, souffrent (et particulièrement en cette période de pandémie) ?
Cela
fait-il du bien aux autres de voir qu’on peut être heureux ou cela
renforce-t-il tantôt la jalousie, tantôt le constat de son propre
malheur ?
Suis-je dans le narcissisme ambiant ou vecteur d’un message ?
A
titre personnel, cela fait bien longtemps que j’ai fait le choix de
partager avant tout le bonheur, sans cacher les souffrances et malheurs
occasionnels... mais avant tout le bonheur… et l’espérance. Certains
penseront que j’ai de la chance, beaucoup de chance et c’est vrai : j’ai
une compagne et complice de tous les instants, de belles grandes filles
qui construisent leur vie, un fils porteur de handicap qui continue de
progresser dans son autonomie même si celle-ci restera limitée ; je vis
dans un pays en paix avec un sécurité sociale (qu’hélas on démonte),
j’ai un toit, une petite maison confortable faite de mes mains, un
jardin timbre poste mais où fleurissent mille roses que j’ai planté, la
santé, un travail que j’aime où se déploie des engagements associatifs
et militants qui donnent sens.
Inversement, je pourrais tout autant
me lamenter sur tant de choses, tant de sacrifices liés aux handicaps de
mon extraterrestre de fils, tant de rêves que je ne réaliserai jamais,
faute d’une richesse opulente… et de temps.
Le confinement ?
Cela fait 22 ans que nous le vivons d’une certaine manière avec le
handicap, faute de ne pouvoir « sortir » ou nous déplacer à notre guise,
faute d’invitations car « ce ne sera pas possible avec leur fils
handicapé ». Combien de soirées, de fêtes, de spectacles, de films ou
pièces de théâtre manqués…
Mes ambitions personnelles et mes
rêves ? Si je n’étais pas trop mal parti dans ma petite carrière de
réalisateur, j’ai compris son inadéquation avec les besoins spécifiques
de Lou (la création artistique s’accommode difficilement avec des
impératifs familiaux stables et elle nécessite une certaine forme
d’égoïsme : aller au bout de son trip), mais en l’abandonnant, j’ai
compris que la plus belle réalisation que l’on puisse faire est celle de
réussir sa vie, d’en faire la plus belle des fictions.
Nous
avons tous nos souffrances, nos blessures. La vie est ainsi faite,
construite sur la condition humaine : une finitude insupportable… à
moins de comprendre que ce que nous semons tout au long de notre vie
nous survivra : nos enfants, nos réalisations, nos engagements. Une
goutte d’eau, certes invisible aux yeux du monde, mais est-ce cela le
plus important ? Les femmes et les hommes publiques paient cher leur
intimité volée pour figurer dans les livres d’histoire. Leur bonheur et
richesse sont souvent illusoires. Je l’ai vu tant de fois lorsque je
côtoyais des « stars ».
Face aux obstacles de la vie, face au «
Pourquoi » de l’injustice (Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait ? et ses
multiples déclinaisons), il n’y a qu’une solution : le « Pour Quoi »
(pour faire quoi). Comment vais-je rebondir, me reconstruire, faire «
avec » ? Cela s’appelle la RESILIENCE et c’est LA clé de toute la vie
avec celle du PARDON. Je ne peux souhaiter que la résilience à quiconque
face à la mort, la maladie, l’échec amoureux, la perte d’un emploi, …
A
la question de l’indécence du bonheur, je répondrai donc non, en ce
qu’elle ne se veut pas ostentatoire, mais juste un regard sur les petits
bonheurs simples de la vie que nous pouvons tous réaliser même dans la
pire des situations, ou à tout le moins dans lesquels on peut se
reconnaître dans nos aspirations légitimes.
A la question de le
rendre public, ce sera cent fois, mille fois oui, car ce genre de
discours est étouffé dans les médias sous prétexte que « les gens
heureux n’ont pas d’histoires » et n’intéressent personne, ce qui est
triplement faux : la quête du bonheur est une saga faite de hauts et de
bas, elle est vibrante et vivante. En cela, elle peut intéresser les
gens. Et il en va de même pour le partage des incroyables talents
musicaux de Lou.
Le personnage de Roberto Benigni dans « La vie est
belle » est en cela inspirant. Combien de fois, aujourd’hui encore, ne
suis je pas occupé à prendre sa posture pour rassurer mon extraterrestre
habité par des peurs irrationnelles ou bien réelles, telle que la mort.
« Il faut croire au bonheur, ne serait-ce que pour donner l’exemple » (Prévert)
Luc Boland
Communément
appelé aujourd’hui « Le papa de Lou » et pour cause après 17 ans de
partages de cette folle aventure sur le net et ailleurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire