Il m’est difficile d’imaginer qu’être en contact avec des dauphins pendant six jours, à raison d’une demie heure quotidienne, ait une effet thérapeutique au sens littéral du terme. Difficile d’imaginer aussi, car telle est la théorie, que ce sont avant tout les ultras sons des dauphins qui agiraient sur le cerveau ou une partie fonctionnelle malade du corps, et non - ou peu - le contact physique. Difficile enfin d’objectiver la chose quand tant d’autres paramètres peuvent entrer en ligne de compte.
Et puis, je me sens mal, à l’idée de donner de faux espoirs à des personnes en souffrance ou à la recherche de l’ultime espoir de guérison. Mal aussi, d’imaginer que cela « ait marché » avec Lou, mais pas pour les neuf autres enfants qui participaient à cette semaine de thérapie.
C’est pour toutes ces raisons (et d’autres bien réelles*) que je n’ai pas réussi jusqu’à présent à écrire cette note, et que je sèche encore en ce moment devant mon écran.
Pourtant les faits sont là, occasionnels mais réguliers. Sa maman et moi restons incrédules devant ces petits « incidents » observés dès le retour de la thérapie, au niveau du comportement intellectuel de Lou. Non pas que le bonhomme ne nous parle plus de Joëlle, que ses tocs aient disparu, ou que sa prime adolescence ne rimerait plus avec opposition. Non, non, cela se situe « ailleurs ».
Lou fait régulièrement preuve d’une présence intellectuelle que nous ne lui connaissions pas et dont nous expliquons difficilement l’apparition soudaine, d’autant qu’à ce propos, nous sortons d’un été « chaud » et souvent conflictuel avec lui, tant nous avons dû croiser le fer face à l’explosion de ses tocs, son caractère qui s’affirme, ses exigences d’enfant gâté, sa paresse légendaire, son manque de curiosité, et enfin sa propension à voir les choses de manière négative (NDLA : Tiens voilà pour la première fois et en une phrase, un résumé de l’autre « Lou »).
La méthodologie contre les tocs que nous avons commencé à appliquer, une semaine avant la thérapie, de même que les longues discussions à ce propos avec lui, pourraient intervenir dans les facteurs déclencheurs de ce changement en Lou. De même, face à cette période un peu plus difficile avec lui, nous avons aussi renforcé notre « méthode Coué », faite d’encouragements et de positivisme à outrance pour l’aider à remonter la pente lorsqu’il part « en vrille » ( entendez : colère, opposition, peur, tristesse, négativisme, râlerie etc. ). Se pourrait-il que cette méthode ait aussi une incidence dans le changement observé, alors que cela fait dix ans que nous appliquons avec succès cette stratégie, mais dont les progrès s’inscrivent avant tout dans la durée ?
Une dernière explication pourrait venir troubler ce constat : Lou a douze ans, grandit et devient un préadolescent.
Mais la réalité est là, que nous observons depuis quinze jours, régulièrement, depuis la nuit de notre retour.
Premier « incident » bénin à notre retour à la maison : son réveil qui sonne en pleine nuit.
L’ayant sorti de sa valise et remis à sa place - le “tic tac” du réveil étant la balise sonore de Lou pour repérer son lit, nous l’emmenons partout en voyage avec lui -, je n’avais pas remarqué que l’alarme s’était commutée. Ainsi à 23h30, alors que tout le monde dormait, épuisé par cette semaine un peu folle, l’alarme s’est déclenchée sans que personne ne se réveille, hormis Lou.
En d’autres temps et avec sa peur légendaire des alarmes, il se serait mis à paniquer et hurler. Mais non. Lou est sorti de son lit, a rejoint le réveil posé sur le meuble près de la porte d’entrée et a essayé de l’éteindre de lui-même. N’y parvenant pas, il s’est mis à nous appeler. Calmement. Si calmement que nous ne nous sommes pas réveillés tout de suite. Il a alors porté la voix. Dans mon sommeil, j’imaginais une dispute de voisinage, jusqu’à ce que je reconnaisse sa voix qui cette fois cria : “Il faut appeler la police !”. Pas de doute, c’est Lou.
Le temps de bondir du lit, de descendre le rejoindre en même temps qu’Eva et Claire, sorties elles-aussi de leur sommeil, je tombe sur Lou, calme, debout entre le lit et la porte, le réveil en main. J’éteins l’infernale machine made in Hong-Kong. Immédiatement et de lui-même, Lou prend l’événement avec humour. Nous embrayons. Je lui explique pourquoi l’alarme s’est déclenchée. On rit. Nous le félicitons pour sa réaction. Nous le recouchons. Il se rendort et l’incident est clos. Sa maman et moi sommes étonnés par son comportement mais n’y mettons aucun lien avec l’aventure des dauphins.
Beaucoup plus étonnant est l’incident du lendemain, au moment du souper.
Nous sommes une fois encore tous bien fatigués par cet été. Lou enchaîne les comportements négatifs. Ereinté, je sors ma grosse voix et mon autorité pour couper court et le ramener ensuite vers de meilleurs sentiments. Il obtempère, bougon, et s’installe à table. Comme d’habitude, commence notre longue argumentation après une dispute. Mais pour la première fois, Lou s’exprime, clairement, objectivement et en argumentant. Au fur et à mesure qu’il parle, nous nous regardons, sa maman et moi, éberlués par tant d’à propos :
- Bon, papa, je peux te dire quelque chose ?
- Oui, Lou.
- Bon, O.K., j’étais dans le négatif, mais tu ne trouves pas que tu t’es fâché un peu vite ? Bon, d’accord, je sais que tu es fatigué, mais moi je trouve que tu es aussi en tord. Que tu t’es fâché trop vite. Alors, je reconnais ma faute et je m’excuse, mais je trouve que toi-aussi, tu pourrais me faire des excuses.
Silence autour de la table. Est-ce bien Lou, face à nous ?
N’obtenant pas de réponse, il m’interpèle :
- Allo, papa ?
Je rassemble mes esprits, me mets à rire de son “Allô, papa !” – juste retour de l’arroseur arrosé - et lui réponds :
- Je suis d’accord Lou. Tu as tout à fait raison et je m’en excuse. Mais reconnais que tu es aussi fatigué et que tu n’étais pas vraiment très positif ce soir.
- Oui, papa. Mais tu ne dois pas te fâcher comme cela. Je trouve que tu t’es fâché trop fort.
- C’est vrai, je le reconnais. Mais je me suis fâché parce que parfois, il n’y a plus d’autre solution pour te raisonner, p’tit gars. Alors oui, je suis fatigué et je me suis vite fâché, mais c’était pour en finir tout de suite. Tu vois, si tu obéissais plus vite, je ne devrais pas sortir ma grosse voix.
La suite est de la même teneur. Notre Lou, à l’esprit si désordonné, argumente, objective la situation, comme jamais il ne l’a fait.
C’est ainsi qu’à de nombreuses reprises et depuis lors, nous avons observé des situations étonnantes et nouvelles. Plusieurs fois par jour, nous assistons à des moments de grandes présences intellectuelles, où Lou est capable de suivre une conversation sans partir comme un girouette sur un sujet qui traverserait son esprit.
A d’autres moments, Lou devient enfin capable de discerner son “moi” des autres : Lou, l’éponge fragile qui prend sur lui les moindres tensions ou émotions des personnes qu’il croise ou qu’il entend, se met à prendre une distance sur les épreuves des autres qui ne deviennent plus un menace à sa propre intégrité.
Il y a aussi, ces moments d’empathie vraie et de compréhension, que rien ne l’oblige ou qu’aucune situation n’invite, si ce n’est un éveil soudain de la conscience de la réalité de l’autre.
Et puis, il y a cette curiosité nouvelle et impromptue, son envie croissante de comprendre les mots qu’il utilise par mimétisme sans vraiment en intégrer la réalité, vu sa cécité. Les “c’est quoi un...” et les “Ça veut dire quoi...” se multiplient.
Il y a encore le retour des progrès derrière son piano.
Il ya enfin l’événement sans nul doute le plus étrange : la lecture du braille.
Ceux qui ont lu nos aventures en ces pages ou ailleurs savent que l’apprentissage de la lecture du braille est une épreuve et une difficulté majeure pour Lou. Cela fait six ans qu’il déchiffre plus ou moins péniblement les lettres, une à une. Un exercice de concentration pénible pour arriver au bout d’une phrase, en conflit pertétuel avec son esprit vagabond.
Cet été nous l’avions mis en vacances de lecture, même si nous lui avions fait écrire deux “cartes postales” en braille, car l’écriture avec une machine Perkins lui est bien plus facile que la lecture et ne représente pas une épreuve, au-delà de la paresse. Ainsi, rentrée oblige, après le deuxième jour d’école, sa maman a repris la lecture d’un livre braille tactile.
Comment expliquer qu’après deux mois sans travailler la lecture, Lou ait lu, à la première séance et de manière fluide, une série de phrases. La “surprise” de sa maman est un mot faible et le récit qu’elle m’en fit ne cesse de m’interpeler : ce n’est pas Lou, enfin, pas jusqu’à ce jour.
Bien sûr, il conviendra de voir si cela s’inscrit dans la durée. Les séances suivantes de lecture furent bonne, moins bien que celle-là, la fatigue venant parfois troubler le travail. Mais la différence est là, palpable et objectivable.
Lorsque nous nous sommes inscrits à cette thérapie, nous étions circonspect, sa maman et moi, sans aucune attente ou croyance de résultats. Le simple fait de permettre à Lou d’enfin toucher un animal marin et conceptualiser ainsi le monde aquatique vivant, était déjà, selon nous et pour Lou, une grande expérience.
Je ne sais que penser aujourd’hui, mais les faits sont là et seuls le temps et l’éventuelle reconduction de la thérapie permettront peut-être de faire la part des choses. Et quoi qu’il advienne, ce fut une aventure riche, belle, singulière, surprenante, paradoxale...
Il me reste tant de choses à raconter, dont l’aventure elle-même. Mais il me manque le temps. J’y reviendrai. Dès que possible.
De même, j’ai filmé ces thérapies, dans le cadre d’une étude de l’université de Valence sur l’émission des ultrasons des dauphins en présence d’enfants ayant des handicaps mentaux.
A suivre donc... et ci-dessous quelques photos souvenirs.
Merci à l'association Delphus d'avoir permis cette grande aventure.
Merci à Monique, Caroline et Vincent (nos accompagnateurs), Branco, Bettina et Birgit (les thérapeutes).
Merci aussi à Jacques et Sylvaine (parents de Thomas), Eric et Véronique (parents d’Arthur), Cassius et Sabine (parents d’Anthony), Eric et Laurence (parents de Gilles, Juliette et Arnaud), Lionel et Frédérique (parents de Gaël), Manu et Gwen (parents de Mathilde), Dominique et Sylvaine (parents de Gabin), Kamran et Wendy (parents de Kian), Bruno et Sophie (parents d’Alexis) et la famille de Nathan, pour le formidable élan de solidarité et de compréhension vécu entre nous.
*L’autre raison pour laquelle j’ai mis tant de temps avant d’écrire cette note :
Je suis noyé par le travail engagé au sein de la Fondation Lou, de la Plateforme Annonce Handicap, du projet de festival de film « EOP ! » et de l’association de parent de l’école de Lou que je préside. Les trois mois à venir seront des moments de vérité à tous ces niveaux et, je l’espère, une première récolte de ces trois années d’engagements bénévoles pour cette cause que je défends. ;-)
12 commentaires:
Je n'y connais rien de plus que vous sur cette "thérapie" par les dauphins, mais en tout cas votre article fait vraiment plaisir à lire...
Je suis contente de lire que Lou fait des progrès, aussi étonnants qu'ils puissent paraitre...
Qu'est-ce que j'aime lire tous ses articles ,un bouquin , Luc ...
En tout cas , j'adore l'expérience lui au Delphus , le dauphins .. Les résultats ...L'émotion lié au progrès de LOU . Léna ets plus ^petite (6 ans ) , c'est vrai qu'en que parent , c'est toujours extraoridanaire de les voir avancer dans la vie , parfois trop longuement , et parfois du jour au lendemain ..
Bien affectueusement
Famille BOLAND
Bénédicte SAUVETTE et sa tribu !
C'est vraiment super de lire ca. Il n'y a sans doute pas UNE raison mais plusieurs.
J'imagine que vous avez aussi cherché du cote de l'alimentation, on lit tellement de choses sur les effets sur le cerveau de certains aliments.
En tout cas j'espere que cela va continuer.
Amicalement
marieH
Coïncidence ou pas, ton récit Luc peut laisser perplexe, mais Lou a peut-être ressenti le bienfait de cette thérapie avec les Dauphins...
Je sais qu'on ne peut dire si ce changement durera, quoique je le souhaite de tout coeur, mais Lou change, passe de l'enfance à l'adolescence et c'est certain que ce doit être surprenant de l'entendre raisonner de façon concrète...
BRAVO Lou et bravo à vous la Famille BOLAND pour tout ce que vous apportez aux autres...
Ne dit-on pas "Qui vivra, verra"... ;-)
Quelle belle expérience pour Lou et si en plus ce contact hors du commun l'aide dans sa vie de tous les jours ... Que dire de plus !
Je savais les vertues thérapeutique de ces contacts avec les dauphins, je les pensais au même titres que ceux des chevaux. Je suis épatée et ravie pour vous .
Bises à la tribu
Silencieuse depuis quelques semaines suite à un problème internet et, au travail, je sais consulter mais pas mettre de message, je vois que tu es dubitatif par rapport aux progrès de Lou et à la thérapie mais je pense que dans beaucoup de thérapies il y a du bon et du moins bon, certaines thérapies marchent pour certains, d"autres auront brsoin d'une autre thérapie. Mais Lou a toujours été réceptif aux animaux... et donc, Luc, tu ne dois pas culpabiliser si cette thérapie a eu moins d'effet sur les autres enfants. Chaque enfant est différent... Toutefois, l'important ce sont les progrès de Lou qui sont certainement liès aussi au fait qu'il grandit.
Bisous à toute la famille
il ne faut pas chercher à comprendre, et saisir ce merveilleux magique qui vous arrive,
vous le méritez, toute la tribu,
ils sont incroyables, nos enfants,
et que oui,
quand un jour ils décollent, on reste cloué au sol de découvrir autant de leurs progrès inimaginables encore la veille...
le raisonnement qui arive, c'est le début de beaucoup, alors je vous embrasse, confiante pour vous...
DOUCE JOURNEE!
ET SURTOUT N'OUBLIEZ PAS DE VOUS REPOSER AUSSI! c'est essentiel pour les guider encore, nos enfants, vers le meilleur d'eux!
ces connections neurologiques, c'est vraiment encore de tems mystères,
alors peut être que voici de jolis circuits de compréhension, analyse, qui se sont mis en place,
et pourquoi pas avec des ultra sons des mots de dauphins, je veux bien y croire,
la vie c'est tellement incroyable!
Bonjour Cayenne et Annick (et tous les autres qui ne commentent ;-)
Je ne cherche pas à comprendre. Pas le temps. Sourire. Etrange période en ce moment. Pleine de contraste avec Lou. Quelle m... ces tocs. Et pendant qu'on se bat amicalement (même si les nerfs sont mis parfois à rudes épreuves), sous d'autres aspects, les progrès de Lou se confirment et musicalement, il repart de l'avant et ne cesse de nous étonner. "Qué vie !" ;-)
oui, qué vie, Luc et la tribu,
ici aussi pn marche de progrès et parfois nos nerfs mis en rude épreuve en attendant que la belle compréhension se pointe!
qué travail de vie, hein, Luc!
Nous sommes les parents de Léa et nous aurons le grand plaisir d'accompagner notre fille en septembre 2011 grâce à l'association Delphus..
Nous avons hâte et plaisir que léa vive la même expérience que Lou.
Merci pour votre beau commentaire et film.
Bonne route à Lou dans les meilleurs conditions possibles.
Bonjour,
nous vous souhaitons un bon séjour. Il y a quelques trucs et astuces pour un bon séjour. Un courriel et je vous expliquerai tout cela.
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